jeudi 29 janvier 2009

[4] De passage


« je n'en peux plus je ne sais plus par où commencer il faut me préparer à vider les lieux où toute une partie de moi-même est incrustée depuis vingt-huit ans des jours des semaines oppressants que ça dure peux plus endurer à bout de nerfs gorge serrée à étouffer »

Un homme de passage, Serge Doubrovsky



On se souviendra de tous ces moments qu’on n’aura pas partagés. Ces escapades nocturnes, ces nuits sur la plage, ces trajets qu'on voulait infinis parce qu’on aimait le silence des routes, la nuit. On aimera l’idée de ce faux passé commun ; c’est normal, on a toujours eu beaucoup d’imagination. On rira sans doute, parce qu’on se trouvera tout de même un peu stupides, allongés sur l’herbe, à regarder des étoiles qui sont peut-être déjà mortes depuis longtemps. On se dira que c’est la faute de la lumière ; elle n’est pas assez rapide pour nous. On se racontera des histoires sans comprendre que nos mots ont un goût de tabac froid sur nos lèvres. Ton sourire. Et on dansera aussi ; on sautillera ; on hurlera. On aura l’air fou ; tout juste ce qu’il faut pour que les autres aient peur de nous. Fous. C’est peut-être ce que nous sommes au fond. On ouvrira une fenêtre imaginaire et on se souviendra à quel point nous fûmes émerveillés la première fois qu’on regarda au travers de la fenêtre de ma chambre, à Paris. La rue. Le petit square. Le lampadaire grésille. Ce couple d’amoureux court sous la pluie et s’embrasse sous ce porche. On avait crié « Ils sont amoureux !!! » avant de se cacher derrière les rideaux. On trouvait ça dégoûtant et on s’était promis de ne jamais participer à ces bêtises d'adultes. Je crois qu’ils avaient ri. Nous aussi. La bonne époque. Joie. On rit encore. Ça nous arrive parfois, sous ce saule qu’on aime tant. Quand nous étions enfants, nous adorions grimper sur ses branches. Maman avait toujours peur, t’en souviens-tu ? Elle criait : « Descendez les enfants, vous allez vous faire mal ». Le jour où je suis tombé, elle a eu très peur. Et nous, on riait aux éclats, parce qu’on se rendait compte qu’on était vivants. On était heureux, on souriait, pour de vrai. On n’était pas obligés de mentir pour être comme tout le monde. On aimait cette vie de petits enfants, sans responsabilité et sans souci. On ignorait encore à l’époque qu’on deviendrait insignifiants ; qu'on ne serait qu' « un homme de passage ».

jeudi 8 janvier 2009

[3] Un petit morceau de papier


« For those who wake
With a blind headache
Who must be still
Who will sit and wait
For sunday, to be monday »


Sunday, Sia



J’ai essayé de la retenir. Je me suis approché d’elle et j’ai tenté de la prendre dans mes bras. Au moins une dernière fois. Elle m’a repoussé. Elle a murmuré un vague « Il vaut mieux que je parte » que je n’ai pas voulu entendre. Elle est montée dans le train ; sans même un au revoir, sans même un dernier baiser. Je n’ai pas pu la regarder. J’ai glissé mes mains dans les poches de ma veste et j’ai longé le quai. Les passants me bousculaient. Je m’apprêtais à en arrêter un quand je l’ai entendue crier mon prénom. Je me suis retourné. Elle m’a sauté dans les bras. Nous sommes restés au milieu de ce quai miteux quelques minutes sans oser parler, sans même bouger. Je l’entendais sangloter sur mon épaule. J’ai fermé les yeux et j’ai mordillé mes lèvres. Il ne fallait pas que je pleure ; elle ne supporterait pas cet excès de sentimentalité. Ce qu’elle aimait chez moi, c’était ma fragilité dissimulée. « Les avantages de l’homme viril ; les inconvénients en moins de l’homme délicat ». Je ne devais pas la décevoir. Pas aujourd’hui. Aussi soudainement qu’elle s’était précipitée sur moi, elle s’est dégagée. Elle détournait la tête. Elle ne voulait pas que je la regarde. « Rentre bien. Couvre-toi, il fait froid. Eh bien, bonsoir ». Elle est montée dans le wagon qui se situait à côté de nous. J’ai regardé au travers des vitres du compartiment, mais je ne l’ai pas vue. Plus tôt dans la journée, elle m’avait assuré qu’on se retrouverait, qu’elle m’écrirait. J’avais griffonné sur un morceau de papier mes coordonnées et mon numéro de téléphone. Je le lui avais donné. C’était l’Amour de ma vie et le seul souvenir qu’elle aurait de moi serait cette page froissée. Je me détestais. Au loin, j’ai entendu le coup de sifflet du contrôleur. Lentement, les portes du train se sont refermées. La machine s’est mise en route. J’ai regardé chacun des visages qui passaient devant moi, tranquillement assis dans les compartiments ; mais je ne l’ai pas vue. Je n’ai pas non plus remarqué qu’elle me regardait au travers de la porte vitre du dernier wagon ; serrant dans sa main droite le morceau de papier que je lui avais donné. Je suis sorti de la gare. J’ai mis mes lunettes de soleil. Il faisait froid et gris ce jour-là. Nous étions dimanche. On penserait sûrement que j’étais l’homme le plus superficiel qu’il soit donné de connaître. Je savais que j’étais simplement un homme amoureux qui venait de quitter celle qu’il aimait.

mardi 6 janvier 2009

[2] L'instant inattendu


« De mille saveurs une seule me touche
Lorsque tes lèvres effleurent ma bouche
De tous ses vents un seul m’emporte
Lorsque ton ombre passe ma porte »


Le Tunnel d'Or, AaRON



Scott et Elisa marchaient le long d’une des plages de Brest. La nuit était fraiche, la mer agitée. Le ciel était assombri par d’épais nuages blancs et le vent soufflait. Plus tôt dans la journée, on avait annoncé à la radio d’importantes chutes de neige. Le spectacle promettait d’être magnifique. Les premières giboulées de Décembre. Trois ans qu’il n’avait pas neigé. Depuis plus d’une heure qu’ils promenaient sur le sable, ils n’avaient pas rompu le silence qui s’était paisiblement installé entre eux. Ils appréciaient ces longues et paisibles flâneries. Quelquefois, ils interrompaient leur marche pour s’asseoir sur un banc et regarder la mer. D’autres fois, ils s’allongeaient sur le sable et observaient les quelques étoiles qui tapissaient le ciel. Scott et Elisa parlaient très peu. Ils aimaient s’enfermer dans ce mutisme qu’eux seuls comprenaient ; qu’importe s’ils restaient incompris du reste du monde. Ils étaient tous les deux et c’était peut-être ce qu’ils désiraient secrètement, sans ne se l’être jamais dit. Elisa leva la tête. Les premiers flocons de neige tombaient et venaient disparaître sur sa nuque découverte. Ils étaient presque imperceptibles, comme entièrement engloutis par le ciel blanc. Elisa s’arrêta. Elle regarda Scott et sourit. Celui-ci saisit sa main. Toujours sans rien dire, ils continuèrent leur paisible marche.

dimanche 4 janvier 2009

[1] Promenons-nous dans les bois


« I see flowers everywhere
But it's only cring that come up in the air. »

Lost Highway, AaRON



Matthiew venait régulièrement dans ce bois. Dés qu'il avait été en âge de marcher, il s'y était promené avec ses parents durant des après-midis entiers. Il se souvenait des nombreux pique-niques improvisés qu'ils avaient organisés sur l’herbe. Il se revoyait encore soulevé par son père et sa mère, lui faisant traverser des rivières imaginaires peuplées de féroces crocodiles. Dans ce bois, on avait installé des jeux d’enfants. Il avait joué dans chacune de ces petites cabanes de bois, il avait glissé le long de ces trois toboggans rouges, un jour il avait presque touché le ciel du bout des pieds quand il s'était assis sur ces balançoires, poussées par son père. Aujourd'hui, Matthiew n'était plus un enfant mais il continuait de s'y promener régulièrement, tard dans la nuit. Il y venait pratiquement tous les soirs et il en profitait pour fumer quelques cigarettes. Elles étaient comme l’expiation de fautes inconnues, comme la délivrance temporaire de boulets auxquels il était enchaîné depuis trop longtemps. Certaines fois, Matthiew marchait durant des heures et s’arrêtait quelquefois sur un banc pour écouter la nature. Elle ne s’endormait jamais. A toutes heures, elle l’accompagnait dans ses marches solitaires. C’était la seule présence qu’il tolérait durant ces moments-là. Seul au milieu du bois, il lui arrivait souvent de pleurer. Alors, il s’asseyait tout tremblant sur l’une des balançoires et il attendait. Il patientait, sans que personne ne puisse l’apercevoir. C’était sans doute l’unique endroit où Matthiew se laissait aller. Parfois, après s’être calmé, il s’allongeait sur l’herbe fraiche et regardait le ciel. Il aimait observer les étoiles. Elles le fascinaient. Plus d’une fois, il s’était assoupi au milieu de ses rêveries et ne s’était réveillé qu’en sentant sur son visage les gouttes de pluie des premières averses d’été. C’est seulement là qu’il riait, le corps bientôt ruisselant, l’âme soulagée, lavée de crimes imaginés qu’elle n’avait jamais accomplis.