mercredi 11 mars 2009

[5] En toute sérénité


« We shared fears
And our delights
Climbed icy mountains
Committed crimes
Now I know I've been
As bad as you
So boy lets face it
Now we are through »

Suckerlove, Kate Havnevik



J’ai toujours pensé que tout le monde devrait avoir un révolver sur soi. Pour moi, c’était une question de tranquillité : ça faisait fuir les voisins. Depuis qu’ils s’en doutaient, les miens changeaient de trottoir lorsqu’ils me croisaient. J’aimais voir leur visage effrayé lorsqu’ils m’apercevaient au coin d’une rue la nuit tombée. Quelquefois, je pressais volontairement le pas dans l’unique but de les voir marcher et se retourner pour me jeter des regards furtifs et inquiets. S’attendaient-ils vraiment à ce que je pointe mon arme sur eux ? Tuer n’était pas le problème. Ceux qui auraient pu en témoigner n’étaient malheureusement plus là pour le faire, mais il était certain que ça ne m’avait jamais gêné en aucune façon. J’étais simplement excédé par cette habitude qu’avaient pris les voyous de quartier de descendre leur victime au milieu d’une rue à la vue de tous. C’était un manque cruel de pudeur et de politesse. J’étais certes une véritable ordure, mais je n’avais pas l’intention de déranger nos chers concitoyens durant leur sommeil. Une telle situation aurait été des plus inconvenantes. J’étais plutôt partisan d’un meurtre dans la plus grande intimité ; chez ma victime, les volets baissés, la lumière parfois tamisée. J’avais toujours aimé soigner la forme. Avec l’expérience, j’étais devenu particulièrement raffiné à tel point que plus d’une fois, je mettais excusé de surprendre ma victime durant son sommeil. Naturellement, je l’avais ensuite abattue. Toutes les enquêtes de police avaient été irrésolues. On avait quelquefois conclu au suicide. Jamais je n’ai été découvert. Peut-être mes voisins avaient eu quelques soupçons me concernant, mais ceux-ci se méfiaient trop de moi pour me dénoncer, si bien qu’ils n’avaient jamais constitué un réel danger. Et puis, personne n’aurait cru qu’un homme élégamment habillé, toujours souriant et se rendant chaque dimanche à la messe puisse tuer avec préméditation, sans témoigner d’aucune gêne, d’aucun remord. Les gens sont naïfs.