samedi 9 janvier 2010

[10] Monologue dialogué


« — Pas un buisson, pas une branche pour vous protéger de quoi que ce soit. Alors que voici encore un orage qui fermente, je n'entends qui chante dans le vent. Ce nuage noir là-bas, cet énorme nuage, toujours le même, on dirait une sale bonbonne prête à verser sa liqueur. S'il devait tonner comme il l'a fait cette nuit, je me demande où j'irais me cacher le crâne : car ce nuage lui non plus ne peut manquer de se répandre à pleins seaux »

La Tempête, William Shakespeare
(Traduction d'Yves Bonnefoy)



Et si nous tentions ? Juste une fois. Rien que pour essayer. Ça ne peut pas nous faire de mal. Et puis, nous ne nous amusons jamais. N’en as-tu pas marre d’être sérieux ? Ta folie ne nous changera pas. Tu n’es pas comme lui. Ne crains rien. Tu le répètes souvent, nous sommes embarqués. Il n’y a pas d’autres choix. Alors, prenons ce risque. Il faut toucher à tout. Au moins une fois. Ça aussi tu te plais à le dire. Prouve-moi que ce n’était pas que de belles paroles. Tentons ! Non. Je le sens, tu as déjà choisi. Dès le premier mot tu savais que tu n’irais pas jusqu’au bout. Es-tu fier au moins de garder le contrôle encore une fois ? Tu es finalement comme les autres. Pourtant, je te sais tellement différent. Tes tentatives. Oui, elles te paralysent. C’est dur. Mais un jour, tu devras oser... Non. Non, je ne parlerai pas. Je me tairai. J’aime parfois ce profond mutisme dans lequel il m’arrive encore de nous plonger. Je suis solitaire, peut-être trop. Je n’y peux déjà plus rien. Voilà maintenant quelques lignes. Un paragraphe et je n’ai toujours rien dit. As-tu seulement compris pourquoi ? Vois-tu, je sais que plus tard en relisant ces mots, je me souviendrai de cette hésitation, de ce moment où j’aurais pu tout coucher sur le papier. Ma mémoire affective. Tu sais, écrire me donne toujours l’impression de tuer. A chaque fois. Impitoyablement, violemment, sanguinairement. On n’écrit que sur les morts, sur des choses passées et qui ne reviendront plus. On n’écrit que pour regretter avec plus d’amertume encore, comme si l’on y trouvait au fond un certain plaisir. Il est encore trop tôt. Ne crois pas que je n’en ai pas envie. Tu ne sais pas combien j’aimerais crier. Tu es là, impatient, me reprochant mon calme et ma mesure. Tu devrais le savoir, nous sommes différents. Tu es fougueux, je suis modéré. Tu es passionné ; moi j’aime, simplement. Alors non, je ne dirai rien. Je ne veux pas avorter ce qui n’existe pas.