samedi 10 octobre 2009

[9] Mon deuil


« Don’t hug me this way,
Don’t touch me this way,
Don’t hurt me again,
Don’t hurt me again »

Mistake, Moby


Un simple soir d’automne comme on n’en vivra plus. Un de ceux où je pouvais encore sentir l’odeur des feux de paille dans les champs et celle des cheminées qui crépitent et fument dans les villages. Quelques bouffées de bonheur. Dans un cadre installé sur le petit guéridon du salon dont j’avais hérité de ma grand-mère, il y avait une photographie. Les Landes de Gascogne. On y voyait de magnifiques arbres. D’immenses pins maritimes dont les rayons du soleil distillaient le caractère et l’élégance. Le temps n’avait été clément qu’un seul jour lors de cette balade à Mont-de-Marsan. On avait réussi à capturer l’Instant, si fugace et volage d’ordinaire. Il était là ; devant moi. Et Simon. Il ne souriait pas. Jamais. Il vous tenait simplement la main et je trouvais que ce geste valait bien l’absence de chaleur dans son regard. Simon fixait l’objectif comme un enfant mélancolique qui rêve d’échapper au temps. Je crois qu’il n’était pas heureux. Simon m’avait quittée quelques mois après ce cliché et depuis je ne l’avais jamais abandonné. Je consentais à subir quotidiennement ce regard froid et distant que j’avais fini par trouver agréable. Je n’étais aujourd’hui qu’une mendiante sur le port qui se noyait dans l’océan de poussière d’un amour consumé. Il pleut. Je sortais la tête hors de l’eau. J’avais saisi le cadre et je l’avais placé devant moi. Il m’observait toujours, fixement, impassible et insensible. Je soutenais son regard. Dehors, j’entendais le martèlement de la pluie contre les volets. Ce soir, il serait mort. Je brûlerai ce qu’il reste de lui, j’enterrerai les cendres dans le jardin, et mon deuil serait fait. Nous aimions les soirs d’orage qu’on passait blottis l’un contre l’autre. Sa présence me rassurait. J’étais seule désormais. J’ai pleuré, j’en étais embarrassée. J’ai hurlé, j’en avais honte. Je m’humiliais à revoir son corps, ses mains, ses yeux, ses lèvres ; à entendre sa voix me dire « je t’aime ». Il m’avait promis, il l’avait juré ! Je le tuais. Je l’ai noyé. J’ai assassiné cet être de papier, cet être qui n’est au fond ni chair ni sang, mais simplement un songe, un vieux cauchemar venu me hanter. J’ai dénoué mes cheveux et je suis sortie sur la terrasse. Il pleuvait encore. Sur le sol du salon, la photographie gisait autour des morceaux de verre du cadre brisé.

mardi 9 juin 2009

[8] Tic-Tac


« — Alors comme ça t'es un sadique, constata-t-elle. T'aimes bien enfoncer des trucs dans les gens, pas vrai ? Elle le fixa. Son visage était un masque inexpressif. Sans lubrifiant, c'est ça ?
Bjurman hurla à travers le scotch quand Lisbeth Salander écarta brutalement ses fesses et appliqua le bouchon à l'endroit prévu. »

Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, Stieg Larsson



Lorsque l’horloge indiqua une heure du matin, un puissant gong retentit dans le salon et résonna dans toute la maison. Il fut suivi d’innombrables et interminables tic-tac. Le bruit cadencé produit par la mécanique de la pendule l’avait toujours fascinée. Chaque seconde avait une signification. Quelque part, on mourrait. Là-bas ou ailleurs, un cœur cessait de battre ; un corps s’écroulait sur la chaussée. Plus tard, le téléphone retentirait dans un paisible pavillon de banlieue encore endormi et apporterait son lot de larmes convenues et d’apaisements secrètement désirés. Une seconde, un décès. Elle connaissait la règle et elle ne put s’empêcher de penser qu’elle aussi venait de respecter ce commandement lorsqu’elle avait commis son premier meurtre un peu plus d’une heure auparavant. Le corps gisait toujours à ses pieds ; désormais froid et inerte. Elle se souvint. Ses mains avaient effleuré son corps de jeune vierge effarouchée. Encore installée dans la pénombre de la chambre qui avait été jadis le sanctuaire profané de son innocence, elle continuait de fixer la porte par laquelle tout avait commencé. Le souvenir de ses allers et venus ainsi que la réminiscence de ses gestes lui apparaissaient comme de violentes accolades, brutales et inattendues, qui l’étreindraient jusqu’à la suffocation. Ses lèvres avaient avidement baisé le bout de ses seins encore fermes et ronds. Il gémissait de plaisir ; elle le suppliait d’arrêter. Elle était seule contre lui, seule contre tous. Personne ne l’avait entendue hurler lorsqu’il l’avait sauvagement pénétrée. Dès cet instant, elle avait su que son innocence resterait prisonnière de ces murs à la tapisserie jaunâtre et défraîchie. Il la baisait de toutes ses forces, de tout son cœur, de toute son ardeur. Quelquefois, il caressait ses cheveux blonds et bouclés. Il n’avait cessé de la regarder comme s’il s’agissait d’un objet dont il avait nouvellement fait l’acquisition. Pantomime. Ce n’était plus un viol mais une appropriation. L’instant où chaque femme passe de l’humain à la chose. De la vie à la mort. Il jouissait. Elle se souvint de son visage, de ses yeux plissés, de son large sourire, de ses dents jaunies par le tabac. Il expira bruyamment comme après une lutte infernale et se retira. Il ne la regarda pas une seule fois. Il se dirigea vers la salle de bain accolée à la chambre et elle devina qu’il prenait une douche lorsqu’elle entendit l’eau couler abondamment. Etendue sur le lit, elle regarda le plafond, l’esprit vide et le corps souillé. C’est à ce moment-là qu’elle entendit le tic-tac de l’horloge du salon. Elle se leva et se dirigea dans la cuisine. Lorsqu’elle revint, elle attendit dans l’ombre de l’armoire. Elle patienta ainsi quelques minutes jusqu’à ce que le bruit de l’eau cesse. Lorsqu’il réapparut, il remarqua son absence sans l'apercevoir bondissant sur lui. Le couteau pénétra sa peau et il poussa un premier hurlement de douleur. Elle répéta le coup plusieurs fois, prise d’une frénésie incontrôlable ; toujours avec la même ardeur, la même conviction. Elle sentait la chair se déchirer à chacun de ses assauts. Lorsqu’il tomba à genoux, elle lui donna des coups de pieds dans le nez jusqu’à le voir étendu sur le sol, sa belle gueule défigurée. Elle voulait l’achever, l’humilier autant qu’il l'avait fait avec elle. Lorsqu'il ne bougea plus, il ne respirait plus que faiblement. Difficilement. Elle retroussa la nuisette qu'il n'avait pas pris la peine de lui faire retirer et elle urina sur son visage avec l’intense satisfaction d’avoir inversé les rôles. Cette fois-ci, c’était elle qui giclait. Aussi tranquillement que l'on puisse le faire après abattu un homme, elle s’installa sur le lit jusqu’à ce qu’il expire, son dernier souffle couvert par le tic-tac de l'horloge.

lundi 27 avril 2009

[7] Personne, surtout pas moi


« J'ai sur le bout de la langue
Ton prénom presque effacé
Tordu comme un boomerang
Mon esprit l'a rejeté
De ma mémoire, car la bringue
Et ton amour m'ont épuisé »

Comme un boomerang, Serge Gainsbourg



N’avez-vous jamais remarqué que tous sont sombres et furtifs, si bien qu’on n’aperçoit jamais le visage de ces amants égarés ? Ils se faufilent en silence, et sans la moindre vigilance plongent du haut d’une falaise, dans une mer déchainée prête à tout pour les charmer. Par une belle nuit d’avril, j’ai rencontré un de ces hommes et il chantait en bégayant ces quelques mots ébouriffants : « J’écraserai sur ton front nos cigarettes encore brûlantes, et c’est ma flamme incandescente qui t’embrasera à petit feu. C’est sur ton front, mon tendre amour, que se consumeront nos cœurs, réduits en cendres depuis longtemps par un désir fort ravageur. On s’enflammera main dans la main, puis on regardera au loin, ces étoiles qui brillent encore, de mille feux déjà éteints. Et quelquefois, il m’arrivera de simplement vouloir te dire ces tendres mots tant répétés que tu as toujours oubliés ».

mardi 7 avril 2009

[6] Jésus


« I will rise now, and go about the city in the streets, and in the broad ways I will seek him whom my soul loveth : I sought him, but I find him not. The watchmen that go about the city found me : to whom I said, Saw ye him whom my soul loveth ? »

« Song of Salomon », Cantique des Cantiques



Je t’ai dit que je me marierai et que j’aurai des enfants. Le mariage, c’est simplement pour faire comme tout le monde. Ma femme sera belle, naturellement. Je ne lui demanderai pas de penser ; de toute manière, je ne l’écouterai pas. Si elle n’est pas stupide, ça ferait simplement mieux auprès de mes amis. Les autres hommes me jalouseront et j’aimerai voir leurs regards avides sur ce corps que je serai seul à caresser. Ça me fera jouir, et ça sera bien la seule chose avec elle qui me fera prendre mon pied. On sera un couple admiré mais loin d’être admirable. Ça sera un décalage de plus dans ma vie. Les enfants, c’est un des caprices de l’adolescent pourri que j’étais ; de l’adulte corrompu que je suis. Ils seront à moi parce qu’ils me devront la vie. Je serai leur créateur, l’initiateur des commandements de leur vie. Je serai Dieu, ils seront mes fidèles. Ils me loueront un culte, et je crois bien que j’aimerai ça. Une femme. Des enfants. Tous m’aimeront et je ne leur accorderai pas même un regard. Je les ignorerai. Ils en souffriront. Ça me sera totalement indifférent. Tard le soir, je traînerai toujours dans les bars. Je continuerai aussi de me promener seul dans les bois. Tu ne m’y accompagneras plus, je te l'interdirai. On se sera quitté, on se sera fait nos adieux depuis des années. Pourtant, on n’y pensera toujours et ça nous fera même un petit quelque chose. Peut-être le goût de l’inachevé. Je me souviendrai de toutes ces nuits passées loin de toi et il m’arrivera d’avouer que j’ai pensé à toi dans leur lit. Je me dirai que c’est terminé, et qu'il y a une fin à tout. Alors parfois, je crierai : « Aujourd’hui, je ne pleurerai plus ».

mercredi 11 mars 2009

[5] En toute sérénité


« We shared fears
And our delights
Climbed icy mountains
Committed crimes
Now I know I've been
As bad as you
So boy lets face it
Now we are through »

Suckerlove, Kate Havnevik



J’ai toujours pensé que tout le monde devrait avoir un révolver sur soi. Pour moi, c’était une question de tranquillité : ça faisait fuir les voisins. Depuis qu’ils s’en doutaient, les miens changeaient de trottoir lorsqu’ils me croisaient. J’aimais voir leur visage effrayé lorsqu’ils m’apercevaient au coin d’une rue la nuit tombée. Quelquefois, je pressais volontairement le pas dans l’unique but de les voir marcher et se retourner pour me jeter des regards furtifs et inquiets. S’attendaient-ils vraiment à ce que je pointe mon arme sur eux ? Tuer n’était pas le problème. Ceux qui auraient pu en témoigner n’étaient malheureusement plus là pour le faire, mais il était certain que ça ne m’avait jamais gêné en aucune façon. J’étais simplement excédé par cette habitude qu’avaient pris les voyous de quartier de descendre leur victime au milieu d’une rue à la vue de tous. C’était un manque cruel de pudeur et de politesse. J’étais certes une véritable ordure, mais je n’avais pas l’intention de déranger nos chers concitoyens durant leur sommeil. Une telle situation aurait été des plus inconvenantes. J’étais plutôt partisan d’un meurtre dans la plus grande intimité ; chez ma victime, les volets baissés, la lumière parfois tamisée. J’avais toujours aimé soigner la forme. Avec l’expérience, j’étais devenu particulièrement raffiné à tel point que plus d’une fois, je mettais excusé de surprendre ma victime durant son sommeil. Naturellement, je l’avais ensuite abattue. Toutes les enquêtes de police avaient été irrésolues. On avait quelquefois conclu au suicide. Jamais je n’ai été découvert. Peut-être mes voisins avaient eu quelques soupçons me concernant, mais ceux-ci se méfiaient trop de moi pour me dénoncer, si bien qu’ils n’avaient jamais constitué un réel danger. Et puis, personne n’aurait cru qu’un homme élégamment habillé, toujours souriant et se rendant chaque dimanche à la messe puisse tuer avec préméditation, sans témoigner d’aucune gêne, d’aucun remord. Les gens sont naïfs.

jeudi 29 janvier 2009

[4] De passage


« je n'en peux plus je ne sais plus par où commencer il faut me préparer à vider les lieux où toute une partie de moi-même est incrustée depuis vingt-huit ans des jours des semaines oppressants que ça dure peux plus endurer à bout de nerfs gorge serrée à étouffer »

Un homme de passage, Serge Doubrovsky



On se souviendra de tous ces moments qu’on n’aura pas partagés. Ces escapades nocturnes, ces nuits sur la plage, ces trajets qu'on voulait infinis parce qu’on aimait le silence des routes, la nuit. On aimera l’idée de ce faux passé commun ; c’est normal, on a toujours eu beaucoup d’imagination. On rira sans doute, parce qu’on se trouvera tout de même un peu stupides, allongés sur l’herbe, à regarder des étoiles qui sont peut-être déjà mortes depuis longtemps. On se dira que c’est la faute de la lumière ; elle n’est pas assez rapide pour nous. On se racontera des histoires sans comprendre que nos mots ont un goût de tabac froid sur nos lèvres. Ton sourire. Et on dansera aussi ; on sautillera ; on hurlera. On aura l’air fou ; tout juste ce qu’il faut pour que les autres aient peur de nous. Fous. C’est peut-être ce que nous sommes au fond. On ouvrira une fenêtre imaginaire et on se souviendra à quel point nous fûmes émerveillés la première fois qu’on regarda au travers de la fenêtre de ma chambre, à Paris. La rue. Le petit square. Le lampadaire grésille. Ce couple d’amoureux court sous la pluie et s’embrasse sous ce porche. On avait crié « Ils sont amoureux !!! » avant de se cacher derrière les rideaux. On trouvait ça dégoûtant et on s’était promis de ne jamais participer à ces bêtises d'adultes. Je crois qu’ils avaient ri. Nous aussi. La bonne époque. Joie. On rit encore. Ça nous arrive parfois, sous ce saule qu’on aime tant. Quand nous étions enfants, nous adorions grimper sur ses branches. Maman avait toujours peur, t’en souviens-tu ? Elle criait : « Descendez les enfants, vous allez vous faire mal ». Le jour où je suis tombé, elle a eu très peur. Et nous, on riait aux éclats, parce qu’on se rendait compte qu’on était vivants. On était heureux, on souriait, pour de vrai. On n’était pas obligés de mentir pour être comme tout le monde. On aimait cette vie de petits enfants, sans responsabilité et sans souci. On ignorait encore à l’époque qu’on deviendrait insignifiants ; qu'on ne serait qu' « un homme de passage ».

jeudi 8 janvier 2009

[3] Un petit morceau de papier


« For those who wake
With a blind headache
Who must be still
Who will sit and wait
For sunday, to be monday »


Sunday, Sia



J’ai essayé de la retenir. Je me suis approché d’elle et j’ai tenté de la prendre dans mes bras. Au moins une dernière fois. Elle m’a repoussé. Elle a murmuré un vague « Il vaut mieux que je parte » que je n’ai pas voulu entendre. Elle est montée dans le train ; sans même un au revoir, sans même un dernier baiser. Je n’ai pas pu la regarder. J’ai glissé mes mains dans les poches de ma veste et j’ai longé le quai. Les passants me bousculaient. Je m’apprêtais à en arrêter un quand je l’ai entendue crier mon prénom. Je me suis retourné. Elle m’a sauté dans les bras. Nous sommes restés au milieu de ce quai miteux quelques minutes sans oser parler, sans même bouger. Je l’entendais sangloter sur mon épaule. J’ai fermé les yeux et j’ai mordillé mes lèvres. Il ne fallait pas que je pleure ; elle ne supporterait pas cet excès de sentimentalité. Ce qu’elle aimait chez moi, c’était ma fragilité dissimulée. « Les avantages de l’homme viril ; les inconvénients en moins de l’homme délicat ». Je ne devais pas la décevoir. Pas aujourd’hui. Aussi soudainement qu’elle s’était précipitée sur moi, elle s’est dégagée. Elle détournait la tête. Elle ne voulait pas que je la regarde. « Rentre bien. Couvre-toi, il fait froid. Eh bien, bonsoir ». Elle est montée dans le wagon qui se situait à côté de nous. J’ai regardé au travers des vitres du compartiment, mais je ne l’ai pas vue. Plus tôt dans la journée, elle m’avait assuré qu’on se retrouverait, qu’elle m’écrirait. J’avais griffonné sur un morceau de papier mes coordonnées et mon numéro de téléphone. Je le lui avais donné. C’était l’Amour de ma vie et le seul souvenir qu’elle aurait de moi serait cette page froissée. Je me détestais. Au loin, j’ai entendu le coup de sifflet du contrôleur. Lentement, les portes du train se sont refermées. La machine s’est mise en route. J’ai regardé chacun des visages qui passaient devant moi, tranquillement assis dans les compartiments ; mais je ne l’ai pas vue. Je n’ai pas non plus remarqué qu’elle me regardait au travers de la porte vitre du dernier wagon ; serrant dans sa main droite le morceau de papier que je lui avais donné. Je suis sorti de la gare. J’ai mis mes lunettes de soleil. Il faisait froid et gris ce jour-là. Nous étions dimanche. On penserait sûrement que j’étais l’homme le plus superficiel qu’il soit donné de connaître. Je savais que j’étais simplement un homme amoureux qui venait de quitter celle qu’il aimait.

mardi 6 janvier 2009

[2] L'instant inattendu


« De mille saveurs une seule me touche
Lorsque tes lèvres effleurent ma bouche
De tous ses vents un seul m’emporte
Lorsque ton ombre passe ma porte »


Le Tunnel d'Or, AaRON



Scott et Elisa marchaient le long d’une des plages de Brest. La nuit était fraiche, la mer agitée. Le ciel était assombri par d’épais nuages blancs et le vent soufflait. Plus tôt dans la journée, on avait annoncé à la radio d’importantes chutes de neige. Le spectacle promettait d’être magnifique. Les premières giboulées de Décembre. Trois ans qu’il n’avait pas neigé. Depuis plus d’une heure qu’ils promenaient sur le sable, ils n’avaient pas rompu le silence qui s’était paisiblement installé entre eux. Ils appréciaient ces longues et paisibles flâneries. Quelquefois, ils interrompaient leur marche pour s’asseoir sur un banc et regarder la mer. D’autres fois, ils s’allongeaient sur le sable et observaient les quelques étoiles qui tapissaient le ciel. Scott et Elisa parlaient très peu. Ils aimaient s’enfermer dans ce mutisme qu’eux seuls comprenaient ; qu’importe s’ils restaient incompris du reste du monde. Ils étaient tous les deux et c’était peut-être ce qu’ils désiraient secrètement, sans ne se l’être jamais dit. Elisa leva la tête. Les premiers flocons de neige tombaient et venaient disparaître sur sa nuque découverte. Ils étaient presque imperceptibles, comme entièrement engloutis par le ciel blanc. Elisa s’arrêta. Elle regarda Scott et sourit. Celui-ci saisit sa main. Toujours sans rien dire, ils continuèrent leur paisible marche.

dimanche 4 janvier 2009

[1] Promenons-nous dans les bois


« I see flowers everywhere
But it's only cring that come up in the air. »

Lost Highway, AaRON



Matthiew venait régulièrement dans ce bois. Dés qu'il avait été en âge de marcher, il s'y était promené avec ses parents durant des après-midis entiers. Il se souvenait des nombreux pique-niques improvisés qu'ils avaient organisés sur l’herbe. Il se revoyait encore soulevé par son père et sa mère, lui faisant traverser des rivières imaginaires peuplées de féroces crocodiles. Dans ce bois, on avait installé des jeux d’enfants. Il avait joué dans chacune de ces petites cabanes de bois, il avait glissé le long de ces trois toboggans rouges, un jour il avait presque touché le ciel du bout des pieds quand il s'était assis sur ces balançoires, poussées par son père. Aujourd'hui, Matthiew n'était plus un enfant mais il continuait de s'y promener régulièrement, tard dans la nuit. Il y venait pratiquement tous les soirs et il en profitait pour fumer quelques cigarettes. Elles étaient comme l’expiation de fautes inconnues, comme la délivrance temporaire de boulets auxquels il était enchaîné depuis trop longtemps. Certaines fois, Matthiew marchait durant des heures et s’arrêtait quelquefois sur un banc pour écouter la nature. Elle ne s’endormait jamais. A toutes heures, elle l’accompagnait dans ses marches solitaires. C’était la seule présence qu’il tolérait durant ces moments-là. Seul au milieu du bois, il lui arrivait souvent de pleurer. Alors, il s’asseyait tout tremblant sur l’une des balançoires et il attendait. Il patientait, sans que personne ne puisse l’apercevoir. C’était sans doute l’unique endroit où Matthiew se laissait aller. Parfois, après s’être calmé, il s’allongeait sur l’herbe fraiche et regardait le ciel. Il aimait observer les étoiles. Elles le fascinaient. Plus d’une fois, il s’était assoupi au milieu de ses rêveries et ne s’était réveillé qu’en sentant sur son visage les gouttes de pluie des premières averses d’été. C’est seulement là qu’il riait, le corps bientôt ruisselant, l’âme soulagée, lavée de crimes imaginés qu’elle n’avait jamais accomplis.