mardi 13 avril 2010

[11] Je rencontre


« Cause it's a bitter sweet symphony, this life
Try to make ends meet
You're a slave to money then you die
I'll take you down the only road I've ever been down
You know the one that takes you to the places
where all the veins meet yeah. »

Bitter Sweet Symphony, The Verve



N’ai pas envie de dormir. Pourtant. Les yeux lourds. La tête vide. Le cœur plein. Trop plein. Comme un tremplin. On saute. Ils prennent appui. S’enfuient. Suis baisé. Me remémore. Sans cesse. Jeu de fesses. Me souviens. Tout. Jour, date, heure. Je n'ai rien oublié. Pas ses mains. Pas son visage. Son sourire. Immarcescible. Gravé dans le roc. Un cœur de pierre. Amer. S’effrite trop vite. J'ai couché. Les mots. Sur du papier. Des mois déjà que ça s’est passé. Comme toujours, agités, indisciplinés ; mais dominés, contrôlés. Suis le meilleur à ce jeu-là. Carnets de la honte ; toujours eux. M’obsèdent. Alors je cède. Pas de résistance.
« Nous avons dormi l’un contre l’autre ». Jamais vu autant de violence dans une expression. Contre. N’ai pas bien imprimé. C comme catastrophe. # # # # # # O # # # # # # N # # # # # # T comme tension. # # # # # # R.# # # # # # R. # # # # # # Blocage. Mémoire affective. Se réactive. Ça passe ou ça casse. # # # # # # R.# # # # # # R# # # # # # E.# # # # # # C O N T R E. Si doux et si violent. Fait mal. Déteste éprouver ça. Après, ne m’en remets pas, n’y arrive pas. Tapette. Lopette. Des cigarettes. Tiroir du bureau. Meuble de l’entrée. Partout. Ne m’aide pas. Ne soigne pas. N’altère pas. Je n’oublie pas. Toujours là. Pas de mots. Que des gestes. Des caresses. Ça presse. Oublier. Ne pas céder. Rien concéder. Ne pas crier. Sinon, j'suis grillé.

samedi 9 janvier 2010

[10] Monologue dialogué


« — Pas un buisson, pas une branche pour vous protéger de quoi que ce soit. Alors que voici encore un orage qui fermente, je n'entends qui chante dans le vent. Ce nuage noir là-bas, cet énorme nuage, toujours le même, on dirait une sale bonbonne prête à verser sa liqueur. S'il devait tonner comme il l'a fait cette nuit, je me demande où j'irais me cacher le crâne : car ce nuage lui non plus ne peut manquer de se répandre à pleins seaux »

La Tempête, William Shakespeare
(Traduction d'Yves Bonnefoy)



Et si nous tentions ? Juste une fois. Rien que pour essayer. Ça ne peut pas nous faire de mal. Et puis, nous ne nous amusons jamais. N’en as-tu pas marre d’être sérieux ? Ta folie ne nous changera pas. Tu n’es pas comme lui. Ne crains rien. Tu le répètes souvent, nous sommes embarqués. Il n’y a pas d’autres choix. Alors, prenons ce risque. Il faut toucher à tout. Au moins une fois. Ça aussi tu te plais à le dire. Prouve-moi que ce n’était pas que de belles paroles. Tentons ! Non. Je le sens, tu as déjà choisi. Dès le premier mot tu savais que tu n’irais pas jusqu’au bout. Es-tu fier au moins de garder le contrôle encore une fois ? Tu es finalement comme les autres. Pourtant, je te sais tellement différent. Tes tentatives. Oui, elles te paralysent. C’est dur. Mais un jour, tu devras oser... Non. Non, je ne parlerai pas. Je me tairai. J’aime parfois ce profond mutisme dans lequel il m’arrive encore de nous plonger. Je suis solitaire, peut-être trop. Je n’y peux déjà plus rien. Voilà maintenant quelques lignes. Un paragraphe et je n’ai toujours rien dit. As-tu seulement compris pourquoi ? Vois-tu, je sais que plus tard en relisant ces mots, je me souviendrai de cette hésitation, de ce moment où j’aurais pu tout coucher sur le papier. Ma mémoire affective. Tu sais, écrire me donne toujours l’impression de tuer. A chaque fois. Impitoyablement, violemment, sanguinairement. On n’écrit que sur les morts, sur des choses passées et qui ne reviendront plus. On n’écrit que pour regretter avec plus d’amertume encore, comme si l’on y trouvait au fond un certain plaisir. Il est encore trop tôt. Ne crois pas que je n’en ai pas envie. Tu ne sais pas combien j’aimerais crier. Tu es là, impatient, me reprochant mon calme et ma mesure. Tu devrais le savoir, nous sommes différents. Tu es fougueux, je suis modéré. Tu es passionné ; moi j’aime, simplement. Alors non, je ne dirai rien. Je ne veux pas avorter ce qui n’existe pas.

samedi 10 octobre 2009

[9] Mon deuil


« Don’t hug me this way,
Don’t touch me this way,
Don’t hurt me again,
Don’t hurt me again »

Mistake, Moby


Un simple soir d’automne comme on n’en vivra plus. Un de ceux où je pouvais encore sentir l’odeur des feux de paille dans les champs et celle des cheminées qui crépitent et fument dans les villages. Quelques bouffées de bonheur. Dans un cadre installé sur le petit guéridon du salon dont j’avais hérité de ma grand-mère, il y avait une photographie. Les Landes de Gascogne. On y voyait de magnifiques arbres. D’immenses pins maritimes dont les rayons du soleil distillaient le caractère et l’élégance. Le temps n’avait été clément qu’un seul jour lors de cette balade à Mont-de-Marsan. On avait réussi à capturer l’Instant, si fugace et volage d’ordinaire. Il était là ; devant moi. Et Simon. Il ne souriait pas. Jamais. Il vous tenait simplement la main et je trouvais que ce geste valait bien l’absence de chaleur dans son regard. Simon fixait l’objectif comme un enfant mélancolique qui rêve d’échapper au temps. Je crois qu’il n’était pas heureux. Simon m’avait quittée quelques mois après ce cliché et depuis je ne l’avais jamais abandonné. Je consentais à subir quotidiennement ce regard froid et distant que j’avais fini par trouver agréable. Je n’étais aujourd’hui qu’une mendiante sur le port qui se noyait dans l’océan de poussière d’un amour consumé. Il pleut. Je sortais la tête hors de l’eau. J’avais saisi le cadre et je l’avais placé devant moi. Il m’observait toujours, fixement, impassible et insensible. Je soutenais son regard. Dehors, j’entendais le martèlement de la pluie contre les volets. Ce soir, il serait mort. Je brûlerai ce qu’il reste de lui, j’enterrerai les cendres dans le jardin, et mon deuil serait fait. Nous aimions les soirs d’orage qu’on passait blottis l’un contre l’autre. Sa présence me rassurait. J’étais seule désormais. J’ai pleuré, j’en étais embarrassée. J’ai hurlé, j’en avais honte. Je m’humiliais à revoir son corps, ses mains, ses yeux, ses lèvres ; à entendre sa voix me dire « je t’aime ». Il m’avait promis, il l’avait juré ! Je le tuais. Je l’ai noyé. J’ai assassiné cet être de papier, cet être qui n’est au fond ni chair ni sang, mais simplement un songe, un vieux cauchemar venu me hanter. J’ai dénoué mes cheveux et je suis sortie sur la terrasse. Il pleuvait encore. Sur le sol du salon, la photographie gisait autour des morceaux de verre du cadre brisé.

mardi 9 juin 2009

[8] Tic-Tac


« — Alors comme ça t'es un sadique, constata-t-elle. T'aimes bien enfoncer des trucs dans les gens, pas vrai ? Elle le fixa. Son visage était un masque inexpressif. Sans lubrifiant, c'est ça ?
Bjurman hurla à travers le scotch quand Lisbeth Salander écarta brutalement ses fesses et appliqua le bouchon à l'endroit prévu. »

Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, Stieg Larsson



Lorsque l’horloge indiqua une heure du matin, un puissant gong retentit dans le salon et résonna dans toute la maison. Il fut suivi d’innombrables et interminables tic-tac. Le bruit cadencé produit par la mécanique de la pendule l’avait toujours fascinée. Chaque seconde avait une signification. Quelque part, on mourrait. Là-bas ou ailleurs, un cœur cessait de battre ; un corps s’écroulait sur la chaussée. Plus tard, le téléphone retentirait dans un paisible pavillon de banlieue encore endormi et apporterait son lot de larmes convenues et d’apaisements secrètement désirés. Une seconde, un décès. Elle connaissait la règle et elle ne put s’empêcher de penser qu’elle aussi venait de respecter ce commandement lorsqu’elle avait commis son premier meurtre un peu plus d’une heure auparavant. Le corps gisait toujours à ses pieds ; désormais froid et inerte. Elle se souvint. Ses mains avaient effleuré son corps de jeune vierge effarouchée. Encore installée dans la pénombre de la chambre qui avait été jadis le sanctuaire profané de son innocence, elle continuait de fixer la porte par laquelle tout avait commencé. Le souvenir de ses allers et venus ainsi que la réminiscence de ses gestes lui apparaissaient comme de violentes accolades, brutales et inattendues, qui l’étreindraient jusqu’à la suffocation. Ses lèvres avaient avidement baisé le bout de ses seins encore fermes et ronds. Il gémissait de plaisir ; elle le suppliait d’arrêter. Elle était seule contre lui, seule contre tous. Personne ne l’avait entendue hurler lorsqu’il l’avait sauvagement pénétrée. Dès cet instant, elle avait su que son innocence resterait prisonnière de ces murs à la tapisserie jaunâtre et défraîchie. Il la baisait de toutes ses forces, de tout son cœur, de toute son ardeur. Quelquefois, il caressait ses cheveux blonds et bouclés. Il n’avait cessé de la regarder comme s’il s’agissait d’un objet dont il avait nouvellement fait l’acquisition. Pantomime. Ce n’était plus un viol mais une appropriation. L’instant où chaque femme passe de l’humain à la chose. De la vie à la mort. Il jouissait. Elle se souvint de son visage, de ses yeux plissés, de son large sourire, de ses dents jaunies par le tabac. Il expira bruyamment comme après une lutte infernale et se retira. Il ne la regarda pas une seule fois. Il se dirigea vers la salle de bain accolée à la chambre et elle devina qu’il prenait une douche lorsqu’elle entendit l’eau couler abondamment. Etendue sur le lit, elle regarda le plafond, l’esprit vide et le corps souillé. C’est à ce moment-là qu’elle entendit le tic-tac de l’horloge du salon. Elle se leva et se dirigea dans la cuisine. Lorsqu’elle revint, elle attendit dans l’ombre de l’armoire. Elle patienta ainsi quelques minutes jusqu’à ce que le bruit de l’eau cesse. Lorsqu’il réapparut, il remarqua son absence sans l'apercevoir bondissant sur lui. Le couteau pénétra sa peau et il poussa un premier hurlement de douleur. Elle répéta le coup plusieurs fois, prise d’une frénésie incontrôlable ; toujours avec la même ardeur, la même conviction. Elle sentait la chair se déchirer à chacun de ses assauts. Lorsqu’il tomba à genoux, elle lui donna des coups de pieds dans le nez jusqu’à le voir étendu sur le sol, sa belle gueule défigurée. Elle voulait l’achever, l’humilier autant qu’il l'avait fait avec elle. Lorsqu'il ne bougea plus, il ne respirait plus que faiblement. Difficilement. Elle retroussa la nuisette qu'il n'avait pas pris la peine de lui faire retirer et elle urina sur son visage avec l’intense satisfaction d’avoir inversé les rôles. Cette fois-ci, c’était elle qui giclait. Aussi tranquillement que l'on puisse le faire après abattu un homme, elle s’installa sur le lit jusqu’à ce qu’il expire, son dernier souffle couvert par le tic-tac de l'horloge.

lundi 27 avril 2009

[7] Personne, surtout pas moi


« J'ai sur le bout de la langue
Ton prénom presque effacé
Tordu comme un boomerang
Mon esprit l'a rejeté
De ma mémoire, car la bringue
Et ton amour m'ont épuisé »

Comme un boomerang, Serge Gainsbourg



N’avez-vous jamais remarqué que tous sont sombres et furtifs, si bien qu’on n’aperçoit jamais le visage de ces amants égarés ? Ils se faufilent en silence, et sans la moindre vigilance plongent du haut d’une falaise, dans une mer déchainée prête à tout pour les charmer. Par une belle nuit d’avril, j’ai rencontré un de ces hommes et il chantait en bégayant ces quelques mots ébouriffants : « J’écraserai sur ton front nos cigarettes encore brûlantes, et c’est ma flamme incandescente qui t’embrasera à petit feu. C’est sur ton front, mon tendre amour, que se consumeront nos cœurs, réduits en cendres depuis longtemps par un désir fort ravageur. On s’enflammera main dans la main, puis on regardera au loin, ces étoiles qui brillent encore, de mille feux déjà éteints. Et quelquefois, il m’arrivera de simplement vouloir te dire ces tendres mots tant répétés que tu as toujours oubliés ».