mardi 9 juin 2009

[8] Tic-Tac


« — Alors comme ça t'es un sadique, constata-t-elle. T'aimes bien enfoncer des trucs dans les gens, pas vrai ? Elle le fixa. Son visage était un masque inexpressif. Sans lubrifiant, c'est ça ?
Bjurman hurla à travers le scotch quand Lisbeth Salander écarta brutalement ses fesses et appliqua le bouchon à l'endroit prévu. »

Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, Stieg Larsson



Lorsque l’horloge indiqua une heure du matin, un puissant gong retentit dans le salon et résonna dans toute la maison. Il fut suivi d’innombrables et interminables tic-tac. Le bruit cadencé produit par la mécanique de la pendule l’avait toujours fascinée. Chaque seconde avait une signification. Quelque part, on mourrait. Là-bas ou ailleurs, un cœur cessait de battre ; un corps s’écroulait sur la chaussée. Plus tard, le téléphone retentirait dans un paisible pavillon de banlieue encore endormi et apporterait son lot de larmes convenues et d’apaisements secrètement désirés. Une seconde, un décès. Elle connaissait la règle et elle ne put s’empêcher de penser qu’elle aussi venait de respecter ce commandement lorsqu’elle avait commis son premier meurtre un peu plus d’une heure auparavant. Le corps gisait toujours à ses pieds ; désormais froid et inerte. Elle se souvint. Ses mains avaient effleuré son corps de jeune vierge effarouchée. Encore installée dans la pénombre de la chambre qui avait été jadis le sanctuaire profané de son innocence, elle continuait de fixer la porte par laquelle tout avait commencé. Le souvenir de ses allers et venus ainsi que la réminiscence de ses gestes lui apparaissaient comme de violentes accolades, brutales et inattendues, qui l’étreindraient jusqu’à la suffocation. Ses lèvres avaient avidement baisé le bout de ses seins encore fermes et ronds. Il gémissait de plaisir ; elle le suppliait d’arrêter. Elle était seule contre lui, seule contre tous. Personne ne l’avait entendue hurler lorsqu’il l’avait sauvagement pénétrée. Dès cet instant, elle avait su que son innocence resterait prisonnière de ces murs à la tapisserie jaunâtre et défraîchie. Il la baisait de toutes ses forces, de tout son cœur, de toute son ardeur. Quelquefois, il caressait ses cheveux blonds et bouclés. Il n’avait cessé de la regarder comme s’il s’agissait d’un objet dont il avait nouvellement fait l’acquisition. Pantomime. Ce n’était plus un viol mais une appropriation. L’instant où chaque femme passe de l’humain à la chose. De la vie à la mort. Il jouissait. Elle se souvint de son visage, de ses yeux plissés, de son large sourire, de ses dents jaunies par le tabac. Il expira bruyamment comme après une lutte infernale et se retira. Il ne la regarda pas une seule fois. Il se dirigea vers la salle de bain accolée à la chambre et elle devina qu’il prenait une douche lorsqu’elle entendit l’eau couler abondamment. Etendue sur le lit, elle regarda le plafond, l’esprit vide et le corps souillé. C’est à ce moment-là qu’elle entendit le tic-tac de l’horloge du salon. Elle se leva et se dirigea dans la cuisine. Lorsqu’elle revint, elle attendit dans l’ombre de l’armoire. Elle patienta ainsi quelques minutes jusqu’à ce que le bruit de l’eau cesse. Lorsqu’il réapparut, il remarqua son absence sans l'apercevoir bondissant sur lui. Le couteau pénétra sa peau et il poussa un premier hurlement de douleur. Elle répéta le coup plusieurs fois, prise d’une frénésie incontrôlable ; toujours avec la même ardeur, la même conviction. Elle sentait la chair se déchirer à chacun de ses assauts. Lorsqu’il tomba à genoux, elle lui donna des coups de pieds dans le nez jusqu’à le voir étendu sur le sol, sa belle gueule défigurée. Elle voulait l’achever, l’humilier autant qu’il l'avait fait avec elle. Lorsqu'il ne bougea plus, il ne respirait plus que faiblement. Difficilement. Elle retroussa la nuisette qu'il n'avait pas pris la peine de lui faire retirer et elle urina sur son visage avec l’intense satisfaction d’avoir inversé les rôles. Cette fois-ci, c’était elle qui giclait. Aussi tranquillement que l'on puisse le faire après abattu un homme, elle s’installa sur le lit jusqu’à ce qu’il expire, son dernier souffle couvert par le tic-tac de l'horloge.

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